De mon point de vue, violences obstétricales (VO) et accouchement difficile sont complètement intriqués et liés par une relation de cause à effet.
Plus de 95 % des femmes que j’accompagne après leur accouchement difficile ont subi une ou plusieurs VO (ce dont elles n’ont pas forcément conscience en début d’accompagnement).
Je parle donc volontiers des violences obstétricales lorsque je traite des accouchements difficiles (je précise ces deux notions dans cet autre article . Pour la définition des VO, je rejoins celle de Marie-Hélène Lahaye, à la fois complète et limpide.)
Quand je parle d’accouchement difficile, je parle de l’expérience intime et individuelle en me plaçant du point de vue du sujet c’est à dire la personne qui accouche.
La relation étroite qui existe entre VO et accouchement difficile me conduit à explorer ceci :
Dans quelle mesure la libération de la parole autour des violences obstétricales (qui est un phénomène collectif au sujet de l’intime) peut-elle contribuer à surmonter la souffrance qui est la tienne, celle qui persiste après ton accouchement difficile ?

Parler des accouchements difficiles pour combattre les violences obstétricales
Depuis plusieurs années maintenant, les violences obstétricales ont fait leur entrée sur la scène médiatique. Ce problème, qui n’intéressait qu’un public averti et militant il y a encore dix ans, est maintenant régulièrement traité dans les médias grand public – de manière plus ou moins agile d’ailleurs.
Les violences obstétricales et la manière dont on aborde l’expérience de l’accouchement difficile sont à la croisée de la médecine, du droit, de la politique et… de l’intimité.
Ce sont les militantes qui ont ouvert l’espace (et la voix) pour parler des violences obstétricales
Des associations et des militantes défendent la cause des femmes enceintes et des parturientes depuis de longues années.
Au fil du temps, davantage de témoignages sont venus dénoncer des accouchements vécus dans des conditions parfois cauchemardesques à cause d’une prise en charge non respectueuse de la patiente.
Grâce à ces phénomènes convergents, on assiste enfin à une levée progressive du tabou. De plus en plus de personnes, publiques ou non, médiatisées ou non, habituées ou non à s’exprimer, prennent la parole pour dénoncer des pratiques dangereuses, irrespectueuses et répréhensibles (éthiquement, déontologiquement et pénalement).
A tel point que les institutions médicales et politiques finissent, de plus ou moins bonne grâce, par mettre à l’agenda ces sujets.
Le système obstétrical entame une remise en question, mais cela n’empêche pas les drames individuels de se perpétuer
Il arrive désormais régulièrement que des praticiens exerçant de manière violente ou abusive soient nommément dénoncés et parfois mis en cause pénalement.
Entre professionnels de l’accouchement, le débat s’instaure aussi. Un clivage entre l’ancien monde et le nouveau s’opère. Des médecins et des sages-femmes témoins de violences pendant un accouchement mettent en cause consœurs et confrères, même si c’est souvent sous couvert d’anonymat.
Enfin, un processus de prise de conscience individuelle chez les professionnel.les est en cours. Certaines d’entre elles décident d’assumer leur part de responsabilité dans ce système trop souvent abusif. Ce faisant, elles essaient d’y résister, à leur niveau. Cela passe par le choix de pratiquer autrement, tout en dénonçant des conditions de travail délétères pour elles comme pour leurs patientes.
Au niveau sociétal, la libération de la parole est une première marche vers une mutation du système des naissances.
La déferlante des témoignages s’amplifie.
Le système standard de prise en charge des accouchements, en France notamment, est devenu un enjeu de lutte contre les violences faites aux femmes.
Pour autant, le système obstétrical peine à faire sa révolution. La mutation reste longue et très poussive.
Les femmes qui engagent des poursuites (plaintes – au civil, au pénal ou dans le champ disciplinaire) voient rarement les auteurs des faits condamnés.
Quelle que soit la procédure engagée, celle-ci reste un véritable rouleau compresseur dont on peut sortir encore plus abîmée qu’on n’y est entrée. Car il s’agit d’une machine censée être impartiale mais qui fonctionne pourtant selon une logique de pouvoir au service des « sachants » revendiqués. La Justice n’est encore, dans ce domaine, pas apte à entendre, protéger, ni reconnaître les victimes.
Violences obstétricales et accouchement difficile : là où libérer la parole ne suffit pas
Dénoncer son accouchement difficile est désormais plus fréquent, et les lieux pour le faire sont divers : témoignages dans les médias et sur les réseaux sociaux, discussions entre amis ou en famille, réclamations auprès de la maternité, plaintes formelles, etc.
Accouchement difficile, violences obstétricales : ce qui échappe aux radars
Évoquer un accouchement difficile ou dénoncer des violences subies pendant l’accouchement n’est encore pas accessible à toutes.
Prendre la parole à ce sujet suppose d’avoir pu identifier le problème et d’avoir les mots pour le dire.
Or, en ce qui concerne les accouchements difficiles, prendre la parole et qualifier les dégâts reste complexe, souvent laborieux.
En effet, les violences obstétricales telles qu’elles sont majoritairement médiatisées évoquent des violences positivement caractérisées, objectivables, des faits parfois abominables.
Mais, il s’agit seulement de la partie émergée de l’iceberg car une violence ou un mauvais traitement de la patiente causant un accouchement difficile peut revêtir de nombreuses formes, sournoises et difficiles à identifier à première vue.
La partie immergée, mais tout aussi dévastatrice pour les femmes, est encore plus répandue.
Je parle de cette violence silencieuse qui sévit dans les maternités et qui est si diffuse et systémique qu’elle en devient intangible. La liste des exemples est longue mais il peut s’agir, entre autres, de privations et de contraintes diverses sous couvert de protocole, du non respect de l’intimité, d’intimidation et de menaces insinuées ou latentes, de propos anxiogènes, d’infantilisation, de jugements de valeurs divers émis au sujet de la patiente, de mésinformation, de besoins primaires non assouvis, etc.
Or, ce qui est intangible, même si c’est tout autant dévastateur, est plus difficile à reconnaître, donc à dénoncer et à combattre.
Parler de son accouchement difficile : une première étape de reconstruction pour certaines personnes
Celles qui trouvent un cadre approprié et bienveillant pour parler peuvent accéder à une première forme d’apaisement à parler, à être entendues. Cela peut être le cas auprès d’une association militante offrant une écoute véritable et experte, auprès d’un cercle de parole, grâce à un soutien inconditionnel de la part de l’entourage ou encore grâce à l’appui d’un professionnel aguerri aux démarches plus formelles.
Plus encore : au-delà du sentiment d’être écoutée, les bénéfices à témoigner peuvent être très importants.
En particulier parce que cela redonne de la puissance d’action en permettant à la victime de prendre part au combat, pour que « ça » n’arrive plus aux autres.
Répondre ainsi à une exigence de sororité et de lutte peut s’avérer puissamment réparateur.
Parler de son accouchement difficile : une épreuve supplémentaire pour d’autres
Cependant, qu’il s’agisse de parler de son accouchement difficile dans le cercle privé, dans un espace public ou en s’adressant aux institutions concernées une femme est toujours obligée d’étayer son propos. Elle est sommée de prouver sa sincérité. Elle doit engager toute son énergie pour convaincre qu’elle dit vrai et qu’elle est légitime, au fond, à souffrir ou à se montrer en colère.
Dénoncer n’est jamais un plaisir, toujours une épreuve.
Raconter ce qu’on a vécu, et le dénoncer, plus encore (c’est à dire y porter un jugement), demande inévitablement de mobiliser des ressources colossales sans savoir à l’avance quels vont être les bénéfices individuels de cette parole ainsi portée.
Celle qui veut ou a besoin de parler s’expose toujours à des risques, parmi lesquels :
– exposer une blessure de l’intimité, et donc se retrouver, une nouvelle fois, entièrement vulnérable,
– ne pas être crue, s’exposer au déni,
– voir sa souffrance minimisée , ou être discréditée au nom d’un « vécu » non objectif
– voir les faits justifiés, excusés par un « contexte » médical (pathologie, urgence réelle ou prétendue, etc)
– s’ouvrir à la confrontation, que ce soit au sein de l’entourage ou avec les professionnels concernés.
Bien sûr, évoquer les violences obstétricales et parler de son accouchement difficile contribue à dénoncer le caractère systémique de la violence. Cette libération de la parole est donc une étape incontournable vers l’assainissement du système obstétrical.
Mais la libération de la parole au sujet des accouchements traumatiques n’éteint pas forcément, malheureusement, la violence à l’égard de celle qui parle et qui dénonce.
Au-delà du témoignage, comment soigner ta propre expérience traumatique ?
Comme pour toute violence systémique (violences faites aux femmes notamment), la lutte contre les violences obstétricales et les accouchements difficiles nous oblige à faire face à un phénomène de masse. La force d’inertie est donc importante, et les changements sont lents à apparaître.
Pendant ce temps, les drames intimes individuels, eux, ne sont pas annulés par la seule dénonciation de ce phénomène de masse. Il continuent.
Parfois même, apparaît à l’égard de la victime une injonction à dénoncer la violence subie. Cela peut impliquer un effet délétère pour celle qui se sent déjà vidée de sa puissance et de sa capacité à réagir. Une personne a le droit de ne pas vouloir parler de ce qu’elle a vécu, ni de vouloir le dénoncer.
Pendant que la violence systémique est combattue, les drames individuels doivent eux aussi être pris en charge, soignés, sans ajouter à la difficulté déjà traversée
Si un accouchement difficile peut être gravement destructeur, cela n’est pas irréversible. Il est par contre nécessaire d’emprunter une démarche de soin sécuritaire, efficace et qui nous correspond.
Reconnaître comme légitime ton besoin de soutien après ton accouchement difficile
Les femmes qui ont traversé un accouchement difficile peuvent d’abord avoir tendance à minimiser leur propre expérience si elles la comparent aux abominables traitements relatés dans les témoignages médiatisés.
Ensuite, en dépit de leur forte capacité à relater de manière très juste les évènements et le déroulement de leur accouchement, malgré leur regard souvent très éclairé sur l’accouchement et ses enjeux de pouvoir, le lien avec les difficultés qu’elles vivent ensuite ne leur est pas évident à établir.
Lorsqu’elles évoquent leur accouchement, dans leur cercle privé notamment, elles disent que « ça a été difficile ». Elles avouent parfois que cela les a ébranlées voire traumatisées, mais elles vont rarement plus loin dans la qualification de ce qui s’est passé.
Leur parole, alors, s’éteint vite, les laissant seules, aux prises à un intense malaise dont elles ne savent que faire : elles ne sont pas entendues et ne trouvent pas de solution concrète.
Souvent même, elles se voient opposer (ou elles se répondent à elles mêmes) que leur mal-être est sans doute dû à une chute des hormones, à la fatigue des nuits hachées, ou à une dépression post-partum (ce qui est possiblement consécutif à un accouchement difficile mais pas nécessairement). Ou bien on leur renvoie volontiers qu’elle se sont fait une trop haute idée de l’expérience d’accouchement et qu’elles sont tombées de haut car elles idéalisaient ce moment.
Dès lors, celles qui ont traversé un accouchement difficile ne parviennent pas à se débarrasser de ce boulet intérieur qui les plombe.
L’enjeu, à ce stade, est de parvenir à reconnaître comme légitime sa souffrance. Ne pas y porter de jugement de valeur (comme « je suis faible », « je devrais passer à autre chose », « il y a pire que moi », « mon bébé va bien », « ce n’est qu’un accouchement après tout », « c’est moi qui vis les choses trop fort », etc.) est une première étape pour guérir.
Une expérience d’accouchement difficile n’est pas une souffrance à négliger ou à minimiser.
En effet, celle-ci vient volontiers s’inviter insidieusement dans différentes sphères de la vie : l’estime de soi, le couple souvent, le rapport au corps toujours, les relations familiales et amicales, la sphère professionnelle… Et les dégâts causés à court et long termes peuvent être considérables.
Trouver l’espace d’aide approprié
La plupart de mes clientes, avant de « tomber sur moi », ont déjà cherché des solutions pour tenter de s’apaiser, impliquant des thérapies variées (médicales et paramédicales, psychothérapies, médecines dites douces et alternatives, etc.).
Parfois, cela leur a permis de faire le cheminement suffisant pour reconnaître un besoin d’aide ciblé sur leur expérience d’accouchement.
Ou alors, au contraire, cela a pu les décourager, car elles ont longtemps erré sans trouver une méthode de soin montrant de vrais résultats.
Enfin, certaines de mes clientes font appel à moi car je ne suis pas thérapeute, justement.
Cela les rassure, elles qui ne veulent plus risquer d’entrer dans une relation de soin, par nature déséquilibrée en faveur du soignant. Pire, les femmes que j’accompagne sont parfois littéralement épouvantées à l’idée de croiser de nouveau le chemin d’un professionnel de la sphère médicale ou paramédicale.
La manière dont j’ai construit mes accompagnements repose sur une relation d’aide d’égale à égale, de sororité. Je suis dans une approche de compagnonnage.
Je me veux compagne pour les écouter dans un cadre parfaitement sécurisé, où elles sont crues automatiquement et où on ne doute jamais d’elles. En effet, libérer la parole ne signifie pas forcément être crue. Et ne pas être crue est une double peine!
Quand elles veulent parler aux autres de ce qu’elles ont traversé, je les aide à le faire d’une manière qui leur permettra d’être entendue.
Je suis leur compagne pour déterminer si elles veulent dénoncer ce qui leur est arrivé et pour définir comment le faire de la manière la plus juste pour elle.
Et enfin, je suis un guide dans la reconstruction de leur estime de soi et de confiance en elles et en ce qui les entoure.
Redonner sens à ton expérience d’accouchement en étant guidée activement vers l’apaisement.
Écouter une personne après son accouchement difficile ne suffit pas à la soutenir ni à l’apaiser complètement.
Se réconcilier avec son accouchement, retrouver sa confiance en ses capacités, son estime de soi, nécessite un étayage précis et solide.
L’écoute est un précieux préalable mais c’est seulement une base de travail (et c’est bien la moindre des choses !)
Pour atteindre l’apaisement, qui est l’objectif ultime de mes accompagnements, je cherche à remettre la personne dans sa place active de sujet.
Dans cette perspective, j’ai construit un itinéraire passant par des ateliers de réflexion et d’écriture, qui servent de jalons dans le cheminement d’apaisement. Tout cela, je l’ai conçu de manière précise et rigoureuse pour que chaque personne que j’accompagne sache ce qui l’attend, quel but elle va atteindre : la réconciliation avec son accouchement.
Un des fondements de mes accompagnements est de permettre aux femmes d’avancer à leur rythme mais selon un chemin balisé d’une manière qui leur fasse entrevoir rapidement le « bout du tunnel ».
Les ateliers qui précèdent les séances permettent de garantir deux conditions que je considère essentielles :
– optimiser au maximum nos échanges, pour en faire des séances riches et fructueuses,
– et permettre aux femmes de donner corps à ce qui jusque-là les hantait (puisque ça restait intangible).
Ainsi, la progression est matérialisée par des productions écrites, et c’est, je crois, ce qui contribue au pragmatisme et à l’efficacité du cheminement : la solution devient tangible.
Dans ce chemin que nous faisons ensemble, en alternant phases de réflexion, d’écriture et de discussion en séance, il s’agit de
circonscrire ce qui fait mal,
nommer ce que l’on ne saisissait pas jusqu’alors,
affirmer ce que l’on a besoin d’exprimer, à soi et aux autres,
et enfin, éclairer d’une nouvelle lumière les trésors qui étaient restés dans l’ombre.
Et c’est cela, je crois, guérir de son accouchement difficile.