Il y a dix ans naissait mon premier enfant.
Après ce premier bébé, j’en eus un second, puis un troisième. Malgré certains moments compliqués, je fus globalement respectée pendant mes accouchements.
Mais pendant ce temps, autour de moi, j’entendais trop d’histoires d’accouchements anormalement douloureux, où brutalité, mépris de la femme qui accouche et déceptions laissaient les jeunes mères dans un profond désarroi et une grande solitude.
Ma colère face aux accouchements gâchés des autres
J’ai longtemps ruminé ma colère tout en faisant de mon mieux, au gré des rencontres et des besoins, pour soutenir les femmes après leur accouchement difficile, voire traumatique.
Tout ce que j’entendais me désolait et me révoltait.
Comment prendre confiance en soi et en son bébé après pareille épreuve ?
Comment vivre pleinement le devenir mère ?
Comment ne pas se sentir spoliée de cette joie primaire que peut procurer la naissance de son petit ?
Comment apporter à son enfant et au monde ce que l’on a de meilleur lorsqu’on a été meurtrie dans un moment aussi fondamental ?
Retrouver le récit de ma propre naissance dans un petit cahier oublié

Et puis, un jour de décembre, alors que j’étais enceinte de mon troisième bébé, je tombai sur un petit cahier oublié, dans une boite d’archives familiales.
Je me souviens que ce jour-là j’étais envahie depuis le matin par la tristesse de ne pouvoir partager avec ma mère la joie de l’échographie toute fraiche qui nous annonçait une petite fille en pleine forme.
Ma mère était décédée brutalement plusieurs années auparavant, bien avant la naissance de mon aîné. Je n’avais donc pu partager avec elle aucune joie de la maternité, et ce jour-là, c’était particulièrement douloureux.
J’ouvris ce petit cahier, donc. Il ne contenait qu’un seul texte : le récit de ma naissance.
Avant même d’en commencer la lecture, c’est ma mère que je vis, derrière cette écriture qui dansait sous mes yeux.
Je la revis immédiatement, ma mère, quand elle écrivait de ses mains fines et menues avec son stylo-plume Waterman.
C’est d’abord cela qui m’émut : revoir son écriture, bien formée et un peu enfantine. Une écriture sans personnalité marquée mais, pour moi, reconnaissable entre toutes.
Avidement, presque sans respirer, je lus ce texte, écrit à l’occasion de mes dix-huit ans semble-t-il.
Avec humour et tendresse, ma mère y décrivait ma naissance, notre première et immense rencontre.
Les traitements brutaux qui lui avaient été infligés ce jour-là à la maternité étaient clairement énoncés – bien qu’avec pudeur – mais la grandeur de ce qu’elle racontait n’en était pourtant pas altérée.
J’arrivai à la fin de ces huit pages émerveillée, la gorge serrée de tendresse et d’émotion : je venais de passer quelques instants avec ma mère, pourtant disparue depuis dix ans et à qui je n’avais pas pu dire au revoir.
Ma résolution : révéler la puissance et la beauté de tout accouchement (même difficile ou traumatique)
Depuis près de quinze ans déjà, j’écrivais.
Au boulot (que j’ai quitté depuis).
Dans la vie de tous les jours aussi, quand autour de moi, un copain ou un voisin avaient besoin d’une plume affutée pour se défendre des mesquineries du quotidien.
Et puis j’écrivais pour moi toute seule, sans en parler beaucoup.
J’écrivis ainsi des centaines de courriers juridiques et administratifs, de rapports et d’argumentaires, mais aussi des textes de fiction ou de courtes vignettes que m’inspirait la vie dans ses petits et grands moments.
A cette époque, j’avais déjà pris la décision de changer de métier. J’attendais la fin de ma grossesse pour préciser mes projets orientés vers l’écriture et la naissance.
Mais ce jour de décembre, tout prit sa juste place et s’imbriqua avec un sens nouveau, limpide :
- le plaisir que j’ai à écrire,
- l’émotion que me procure invariablement toute naissance,
- l’énergie que je déploie si facilement quand il faut terrasser Goliath,
- ma colère toujours intacte face à l’injustice et au mépris.
Et aussi, le départ prématuré et violent de ma mère qui m’avait plongée, dix ans durant, dans les rouages obscurs et épuisants de la Justice française.
Les larmes m’aveuglant presque, je refermai le petit cahier et je décidai ceci : voilà comment j’allais aider ces femmes, j’allais les aider à restaurer ce qui avait été saccagé et à révéler la puissance et la beauté de leur accouchement.
J’allais m’y mettre à plein temps et en faire mon métier pour qu’elles aussi, en dépit de la souffrance et de la violence subies, puissent disposer de cet immense et inaltérable trésor.
Pour qu’elles aussi puissent transmettre à leur tout-petit la lumière apportée par sa naissance.
J’ai alors élaboré une méthode d’accompagnement à partir des besoins exprimés par les femmes que j’ai pu interroger : le besoin de comprendre, le besoin de faire savoir et le besoin de se réconcilier avec cette expérience.
Pour cela, j’utilise l’écoute, l’écriture et les mots.