Parmi celles qui ont traversé un accouchement difficile (dont je propose ici une définition), certaines confient avoir eu du mal à accueillir immédiatement leur bébé avec amour et bienveillance.
Elles n’étaient pas forcément en état de choc. Pour autant, une fois leur bébé né, que ce soit par césarienne ou voie basse, elles avaient l’impression de n’être plus qu’une vielle éponge douloureuse, un sac de chair malmenée. Bonne à rien, surtout pas à aimer.

L’accouchement difficile : une double peine
Cette situation constitue une double peine pour ces femmes. Double peine pour une faute qui n’est pas la leur.
Peine n° 1 : Elles sont privées de ce moment, que l’on décrit communément comme magique.
Celui du premier regard entre la mère et son tout-petit, celui des sensations de découverte et d’émerveillement, animales. Cette poignée de minutes dans toute une vie, que l’on nous enjoint à bien savourer avant qu’elles ne s’envolent.
Cet instant d’absolu, certaines mères en sont privées tant leurs douleurs et les épreuves qu’elles viennent de traverser en salle de naissance les ont clouées à terre. On leur a peut-être présenté leur bébé pour un baiser, ou on leur a posé sur le ventre, mais elles n’étaient pas présentes dans cette rencontre. Leur corps, peut-être, mais pas leur âme. Confisqué, l’instant de grâce !
Première peine, donc.
Peine n° 2 : Le sentiment de culpabilité.
Non seulement elles n’ont pas vécu cette rencontre d’amour brut avec leur bébé encore tout chaud d’elles, mais en plus, elles culpabilisent de cela.
Elles se disent qu’elles sont mères indignes d’avoir rejeté leur enfant ainsi. Car parfois, oui, elles sont restées de marbre, ou ont détourné le regard, ou l’ont même formulé, à bout de souffle, entre deux tremblements : « Enlevez-le moi… reprenez-le…».
De cela, elles s’en veulent encore, même si le temps est passé depuis.
A qui la faute ?
Afin de remettre les pendules à l’heure et le sentiment de culpabilité à sa place, voici ce que je crois utile d’avoir en tête :
Lorsqu’une femme qui accouche est perturbée, d’une manière ou d’une autre, notamment par le contexte matériel ou relationnel ainsi que par des interventions médicales et techniques, sa sécrétion d’ocytocine peut en être affectée.
Par exemple, l’arrivée de personnes étrangères, une discussion terre-à-terre ou une lumière un peu vive peuvent agir directement, dans des proportions plus ou moins importantes, sur la production naturelle d’ocytocine et sur le bon déroulement du travail.
Or, l’ocytocine est l’hormone de l’amour, de l’attachement, du coup de foudre, même. C’est notamment grâce à l’ocytocine que l’humanité se reproduit, que les femmes traversent les douleurs et désagréments liés à l’enfantement, et, finalement, parviennent, pour nombre d’entre elles, à accoucher plusieurs fois (avec plaisir parfois même !).
L’ocytocine de synthèse, très souvent utilisée en maternité, n’a en revanche pas du tout les mêmes vertus et peut venir concurrencer la production naturelle d’ocytocine.
La mère n'y peut rien
A l’issue d’un accouchement difficile, au cours duquel de nombreuses interventions sont effectuées, sur ou autour de la mère, ou si celle-ci ne se sent pas dans un environnement bienveillant, sécurisant et confortable, la sécrétion d’ocytocine naturelle peut se trouver nettement diminuée.
Il arrive alors que ce filtre d’amour soit inopérant. La mère n’y peut rien dans l’immédiat. Dans le cas où le processus de la naissance et le bien-être de la mère n’ont pas été suffisamment respectés, établir un lien d’attachement peut s’avérer beaucoup plus difficile pour elle et son bébé : l’élan maternel pour le nouveau-né risque d’être entravé ; sera même, dans certains cas, carrément inexistant.
L’attachement avec notre bébé se joue dans la tête, oui, mais pas uniquement au sens psychologique du terme : également au sens hormonal, chimique. Cela se joue dans le cerveau, dans l’hypothalamus et l’hypophyse.
Celle qui a traversé un accouchement difficile, celle qui a subi des interventions médicales ou qui n’a pas été entourée d’assez de bienveillance, de douceur, celle qui a manqué de confort ou de toute autre ressource lui permettant de se sentir en sécurité et de rester dans sa “bulle” intime, n’importe laquelle de ces femmes peut avoir des difficultés à accueillir son bébé lorsqu’il naît. Et ce n’est pas de sa faute.
C’est l’ocytocine qui contribue à nous donner l’envie et la force de prendre notre bébé dès sa naissance, de le serrer, de l’embrasser, de lui murmurer des mots d’amour et de bienvenue. Sans ocytocine naturelle, cela devient nettement plus difficile.
Alors, à toutes celles qui ont traversé cette épreuve, regardez-le bien en face ce sentiment de culpabilité qui s’incruste dans votre cœur, prenez-le entre quatre z’yeux, et parlez-lui de l’ocytocine !