James W. Pennebaker, chercheur américain en psychologie, a montré qu’écrire sur une expérience traumatique présente de véritables vertus thérapeutiques et constitue, à ce titre, un vecteur de guérison.
De nombreux auteurs, en littérature et en sciences humaines, font le même constat.
Lorsque je parle d’écriture, je parle ici de deux choses complémentaires :
Il s’agit d’abord du geste : celui de la main et du crayon sur le papier, qui trace un ensemble de signes pour transformer une pensée ou une émotion en matérialité.
Le corps se met au service de la pensée en lui donnant corps, justement. Et la pensée, une fois penchée sur le papier, poursuit son cheminement et évolue.
Lors de mes accompagnements, j’enjoins toujours mes clientes à privilégier le stylo et le papier (plutôt que l’outil informatique) pour réaliser leurs ateliers. Le temps de l’écriture, associé à la dimension sensorielle accroît, selon moi, l’effet libérateur et cathartique de l’écriture.
Par écriture, j’entends aussi la manière de conduire un récit et de le façonner.
L’écriture traduit la pensée mais l’écriture façonne aussi notre pensée, en ce qu’elle lui donne une existence visible et vivante. L’écriture et la pensée se nourrissent mutuellement.
Ecrire n’est pas seulement décrire, c’est traduire, en mots, la volonté de se voir vivre et ressentir. Ecrire, c’est la volonté de faire récit, c’est décider comment on raconte les choses. Ce faisant, c’est décider comment on veut les vivre.
Donner une direction et une matérialité à notre pensée en écrivant me semble fondamentalement bienfaisant après une expérience difficile d’accouchement.
Pourquoi ?
Parce que cela nous permet de reprendre la barre après la tempête, après avoir souffert que tant de choses nous échappent. Cela permet de retrouver de la puissance et de l’emprise sur le cours des choses à travers le papier.
L’écriture est une puissance d’expression. Incontestable.
Celle qui écrit a le dernier mot, forcément, de fait, puisque c’est elle qui pose le dernier mot.
Celle qui écrit s’offre un pas vers la guérison.
Mais suffit-il de s’emparer d’un crayon et de griffonner quelques paragraphes pour vous libérer de l’expérience traumatique de votre accouchement ?
Assurément, non.

Se libérer d’un accouchement difficile grâce à la contrainte des mots
Par contre, explorer son expérience d’accouchement difficile en se servant de contraintes d’écriture peut s’avérer très efficace et tout à fait fertile.
Voici pourquoi :
- Ecrire avec une contrainte permet de domestiquer la pensée. Non en la censurant mais simplement en canalisant la résurgence émotionnelle qui se manifeste à l’évocation de l’accouchement.
La contrainte d’écriture fait office de pare-feu, en créant une protection autour de celle qui écrit tout en lui permettant un cheminement fertile.
- La contrainte stimule la pensée et nous conduit dans des recoins que nous n’osions pas explorer ou auxquels nous n’avions même pas pensé !
Bien que cela puisse paraître contradictoire, la contrainte oblige à se creuser la tête ! Cela conduit finalement à réfléchir en profondeur, à analyser et à regarder là où nous pensions n’avoir plus rien à dire ni à attendre.
Je propose ici trois contraintes d’écriture mais celles que l’on peut s’imposer sont infinies !
Le troisième atelier vous demandera certainement un peu plus de temps que les deux premiers mais a des chances de vous faire sourire…
Quel que soit l’exercice choisi, je vous invite à respecter quelques conditions que voici :
– Prenez rendez-vous avec vous-même. Fixez le créneau dans votre agenda (10 minutes peuvent suffire).
– Le moment venu, assurez-vous de ne pas être dérangée et armez-vous de votre stylo préféré, celui qui glisse comme vous aimez et avec lequel votre trait d’écriture vous plait. Idem pour le papier : choisissez-le de qualité et en quantité suffisante (car il se peut que vous ayez subitement envie de tout rayer ; dans ce cas-là, prenez une belle feuille neuve).
– Enfin, préparez-vous une boisson réconfortante que vous garderez à proximité.
Sans en faire un cérémonial rigide, vous pouvez néanmoins considérer comme précieux et sacré ce petit moment d’écriture, tout comme votre expérience d’accouchement – aussi difficile soit-elle – mérite d’être considérée comme précieuse et sacrée.
Atelier 1 - Je me souviens… de mon accouchement difficile
Ici, on s’inspire du célèbre livre dans lequel Georges Pérec énumère ses souvenirs d’enfance et de jeunesse en débutant toutes les phrases par « Je me souviens… »
Si Pérec en a égrené ainsi 480, vous pouvez vous contenter, s’agissant de votre accouchement difficile, de n’en écrire qu’une quinzaine. Cependant, si vous vous prenez au jeu, vous pourrez aller beaucoup plus loin…
Les larmes vont peut-être vous monter aux yeux, mais ce qui sera inscrit sur le papier sera enfin sous vos yeux et, dès lors, beaucoup moins prompt à vous rôder dans le cœur.
Atelier 2 – Un parcours de mots pour se libérer d’un accouchement difficile
Voici 10 mots :
- immense
- froideur
- seul(e)
- évidence
- possible
- à l’envers
- basculer
- minuscule
- vertige
- peau
Je vous invite à écrire un court texte en empruntant chacun de ses mots, idéalement dans l’ordre et en vous limitant à une phrase pour chacun.
Vous ne chercherez pas ici faire le récit de votre accouchement mais plutôt à écrire ce que vous voulez DIRE de cet accouchement. C’est plutôt ce que vous pensez des faits que les faits eux-mêmes qui nous intéresse ici.
Vous allez voir : vous allez certainement ouvrir une nouvelle perspective sur votre expérience.
Atelier 3 - L’absurde pour purger l’expérience difficile de l’accouchement : la lettre de réclamation
Parfois, les femmes qui ont traversé un accouchement traumatique engagent des démarches pour que soient reconnus, notamment par les institutions médicales, les dommages physiques et psychologiques qu’elles ont subis.
Je peux être un soutien dans ces procédures et, à condition de bien savoir ce que l’on peut en attendre, celles-ci peuvent contribuer à la guérison.
Néanmoins, ces démarches-là doivent être menées avec une rigueur et un formalisme qui laissent peu la place à l’expression des ressentis profonds et qui brident nécessairement l’expression.
Ici, je vous propose un exercice qui, au contraire, vous invite à exprimer tout ce qui vous passe par la tête ou le cœur, sans vous demander si c’est ou non recevable ou entendable.
L’absurde et la dérision servent ici à s’affranchir des arguments et des justifications que les femmes sont systématiquement obligées de déployer après les difficultés traversées pendant leur accouchement.
Imaginez un monde où l’accouchement s’achèterait comme on achète une voiture : avec options et parfois à prix d’or.
Projetez-vous dans ce monde où chaque femme qui accouche serait une cliente VIP à servir avec empressement.
Mettez-vous dans la peau d’une cliente terriblement insatisfaite par l’achat qu’elle a effectué et qui vient porter réclamation à l’institution (imaginaire) chargée de recenser les accouchements difficiles ou traumatiques et de dédommager les victimes.
Imaginez quel pourrait être votre discours si le produit que vous avez commandé – et payé !- (l’accouchement que vous vouliez) n’était finalement pas celui qui vous avait été livré (l’accouchement que vous avez finalement vécu).
L’important, ici, est de vous concentrer sur l’expression de votre insatisfaction (derrière laquelle se cachent colère, tristesse, regrets, frustration, abattement…).
Dans cet exercice, la contrainte est là pour déjouer l’autocensure.
Surtout, il ne s’agit pas de questionner la légitimité de ce que vous voulez dire. Dites-le. C’est tout.
Et n’oubliez pas d’y mettre le ton qui vous soulage. Si c’est un ton agressif ou arrogant, vous avez le droit. Si c’est plutôt détaché et froid, vous avez le droit. Si c’est geignard, vous avez le droit aussi.
Mieux vous travaillerez la posture de la cliente revêche, insatisfaite et exigeante, plus votre lettre sera riche…et drôle, qui sait !
Dans cette lettre de réclamation, vous pouvez dénoncer :
- ce qui vous a manqué pendant votre accouchement ou après,
- ce que vous n’auriez pas voulu vivre/subir,
- ce que vous auriez voulu faire et que vous n’avez pas pu faire soit parce que vous n’y êtes pas arrivée soit parce qu’on vous en a empêchée,
- ce que vous auriez voulu que l’on fasse pour vous et qui n’a pas été fait,
- ce que vous regrettez de ne pas avoir fait/dit/vécu/refusé etc.,
- le comportement de n’importe quelle personne autour de vous (équipe médicale, conjoint∙e, entourage familial ou amical…),
- un contexte, une ambiance.
Afin de garder le cap de l’exercice jusqu’au bout, je vous propose de terminer votre lettre de réclamation par la phrase suivante :
« Compte tenu des éléments exposés ci-avant, je demande le remboursement intégral de mon accouchement, et cela sans délai. Je me réserve en outre le droit de poursuivre mes démarches selon la suite qui sera donnée à la présente réclamation. »
A vous ensuite de choisir la formule de politesse (ou pas) qui vous plaira !
Si vous voulez partager vos
textes avec moi, vous pouvez mes les envoyer ici ou à amelie@lesecouteuses.com
Je serais heureuse de les lire.