Aller accoucher comme on part en guerre… ou en plaidoirie

On entend souvent qu’un accouchement peut tourner au drame, à chaque instant. L’imaginaire collectif a peur de ça, comme il avait peur, autrefois, du loup-garou.

Se « renseigner » pour sauver son accouchement ?

Elle, ce qui lui faisait peur, c’était qu’on l’empêche, qu’on la bouscule, qu’on la coupe ou qu’on l’écrase. Elle craignait les néons et le geste de trop. C’est pour cette raison qu’elle n’avait rien laissé au hasard.

Et ça n’a pas suffi.

Elle avait tout préparé, au cordeau. Elle en avait appris des choses, lu des livres et décortiqué des statistiques ! Dès le début de sa grossesse, elle avait pesé le pour et le contre de chaque examen et de chaque geste : péri’, épisio’, clampage tardif, et tout le reste.

Elle avait réfléchi, confronté les idées. Elle s’était engagée dans des choix importants, même s’ils lui valaient des remarques acides et déplacées (« Ah bon, tu ne veux pas la péri’ ? T’es masochiste, toi !»).

Elle avait briefé son compagnon, pour qu’il l’aide à s’imposer, le moment venu, si elle-même n’y parvenait plus.

Et ça n’a pas suffi.

Elle avait questionné sa maternité sur ses protocoles et sa pratique. Elle s’était bien « renseignée » avant, comme on dit.

Chaque mot du projet de naissance avait été pensé et pesé.

Le tout était imprimé sur du papier de bonne qualité, bien à l’abri dans une pochette en plastique.

En consultation prénatale, elle avait apporté son projet à la gynéco. Celle-ci, plutôt à l’écoute, l’avait volontiers glissé dans son dossier en lui disant avec un sourire franc : « Comme ça, l’équipe sera au courant de vos souhaits ».

Et ça n’a pas suffi.

Que tout était bien exploré, pensé, préparé !

Tout ça, c’était pour elle, un peu, mais surtout pour son bébé : pour que tout aille au mieux pour lui, pour qu’il débute sa vie avec le meilleur et avec, surtout, de la douceur. Du bon pied, en quelque sorte.

Mais le jour venu, ça n’a pas suffi.

Et non !

Au bout d’un moment, à cause de cet emballement connu comme le loup-garou, cette triste et banale routine de maternité, au croisement du protocole et du pas-de-chance, on avait décrété le bébé « en difficulté ». Et on lui avait fait, à elle, la mère, tout ce qu’elle aurait refusé en d’autres circonstances.

Son compagnon ? Éjecté dans le couloir comme un trublion.

L’incongrue question du consentement

Impossible, dans ces conditions , de contester ou d’approuver quoi que ce soit : Bébé-est-en-difficulté, c’est l’artillerie lourde, la Grosse Bertha face au consentement.

Consentir de qui ? Consentir de quoi ?

Elle le savait bien qu’elle avait le droit de refuser, tout, si elle le voulait. C’est Kouchner qui l’a dit.

Mais, en fait : que viennent donc faire Kouchner et sa fameuse loi* dans une salle d’accouchement où l’on annonce à la mère que son bébé est en difficulté ?! Cela parait aussi incongru que de rencontrer la fée Carabosse dans un bar à tapas.

Le mot « bébé » associé à « difficulté » suffit bien souvent (et très logiquement) à faire vaciller la capacité d’affirmation des parents, capacité déjà bien affaiblie par la fatigue, la douleur, et le manque d’intimité.

Rares sont ceux qui peuvent répondre, alors, autrement qu’avec leur tripes. Comment, dans ces conditions, se battre –littéralement–  pour d’abord, obtenir des informations claires sur la situation et, ensuite, faire respecter sa volonté initiale ?

Bien sûr que je consens : à la vie de mon bébé ! Et donc à la mienne, maman que je suis déjà jusqu’au fond de mon âme et qui crains tant pour son tout-petit !

En réalité, la question du consentement, à ce moment-là, est hors de propos. D’ailleurs, personne ne la pose. C’est bien pratique ce Bébé-est-en-difficulté.

Bébé-est-en-difficulté, c’est la menace déguisée en Gandhi ; celle qui ferait consentir n’importe qui, ou presque, à n’importe quoi, y compris à la brutalité, à l’inutilité, au découpage, et à la mort, pourquoi pas ?

Évidemment qu’elle s’est laissée faire dans cette tempête de peur ! Non par consentement, mais à cause de la menace absolue : à cause de ce Bébé-est-en-difficulté.

Au bout du compte, bébé est né en pleine forme, pas en difficulté du tout. Et ne nous y trompons pas : ce n’est pas grâce au charcutage qu’a subi sa mère qui, elle, est sortie ravagée de l’accouchement.

Cet accouchement lui a fait si mal, au corps et à l’âme, qu’elle a mis du temps à s’en remettre. Ou plutôt : elle ne s’en est pas vraiment remise, elle a continué à vivre, seulement. Tant bien que mal. Plutôt bien que mal d’ailleurs, parce qu’elle est forte et solide, comme on dit facilement de ceux qui encaissent sans trop broncher parce qu’ils n’ont pas vraiment le choix de faire autrement.

Responsabilité et sentiment de culpabilité

Plusieurs mois après ce qu’elle décrit comme une guerre, mue par une colère saine mais encore timide – et une fébrilité, aussi, qui ne la quitte plus depuis son accouchement – elle finit par me contacter.

Sans me connaître, elle me raconte tout ça, dans un souffle, presque sans pause dans le propos. Il est question de délais de tolérance dépassés, de sursis, de négociation. De compagnon inquiet, de manque de résistance à la douleur, de protocole et de pensez-à-votre-bébé.

Et elle conclut ainsi : « Mais, bon, j’aurais dû plus m’imposer… ».

Malgré tout ce qu’elle a enduré, suinte en elle un sentiment de double culpabilité. D’abord pour ne pas avoir réussi à mener son accouchement comme elle l’avait tant désiré. Ensuite, et surtout, pour n’avoir pas su s’imposer et se faire respecter.

Et cela me met en colère, pour elle.

Pourquoi ? Parce qu’il est violent et injuste de penser cela de soi-même alors qu’on a fait de son mieux, et plus encore.

Parce que cette femme avait fait tout ce qu’elle pouvait pour mettre toutes les chances de son côté. Elle ne pouvait pas aller plus loin dans l’engagement et le sens des responsabilités.

Et pourtant, ça n’a pas suffi. Ni pour elle, ni pour des milliers d’autres femmes comme elle.

Un accouchement respecté s’emballe rarement comme un cheval fou. Une prise en charge obstétricale, beaucoup plus souvent.

Ça n’a pas suffi, parce que le système obstétrical hospitalier peut malheureusement s’emballer soudainement, comme un cheval fou, quelles que soient les précautions prises à son égard.

Et attention : ce n’est pas l’accouchement lui-même qui s’emballe. Les situations d’urgence vitales pour la mère ou le fœtus survenant brusquement pendant le travail alors qu’aucune pathologie n’existait jusque-là restent statistiquement très rares pour peu que l’on respecte le corps de celle qui accouche et le processus de l’accouchement (à ce sujet, voir le billet limpide de Marie-Hélène LAHAYE).

Après son récit, je demande à ma cliente qui s’en veut : « Qu’est-ce qui pourrait donc bien empêcher ce cheval fou de s’emballer à la faveur d’une humeur passagère ou du surmenage du personnel, de pratiques qu’on n’a jamais remises en question, d’un agacement soudain à trop entendre geindre ou crier ? »

Je m’indigne pour elle et lui dis ceci :

« Faudrait-il aller accoucher comme on part en guerre, c’est-à-dire armée jusqu’aux dents, flanquée de deux molosses prêts à intervenir à la moindre anicroche ? Ou y aller affutée comme un ténor du barreau avant sa plaidoirie : le code de la Santé publique sous le bras, une caméra sous l’autre, histoire de tout filmer en temps réel, pour preuve ? »

Il semble que ma colère, à ce moment-là, libère la sienne, non plus contre elle-même mais contre ce qu’elle a subi.

Rapidement, au cours de l’accompagnement, elle transformera cette colère en énergie d’action, et ce sera le début d’une puissance retrouvée.

[* La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner, interdit l’exécution de tout acte médical effectué sans consentement libre et éclairé de la patiente.]

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