Mots maudits après un accouchement difficile : “Aller, l’essentiel, c’est que ton bébé aille bien !”

Dans notre société, après une naissance, il existe cette habitude de demander aux femmes, avec plus ou moins de délicatesse, comment s’est passé leur accouchement. Dans la majorité des cas, l’enfant va bien et suit la conversation depuis le porte-bébé ou son cosy.

« Ça a été ? »
« Comment ça s’est passé ? »
« Alors, l’accouchement, pas trop dur ? »

L’entourage, proche ou pas, s’enquiert du bon déroulement de cette expérience de l’intime.

L’enfer, ses pavés et ses bonnes intentions

Il s’agirait d’une question certainement bienfaisante si celui qui la pose – de la cousine au collègue de bureau, en passant par le pédiatre – était vraiment prêt à accueillir cette maman avec sa réponse, quand bien même ce ne serait pas la réponse confortable que l’on attend d’une femme censée être comblée par la naissance de son petit. Comblée, complètement comblée. Comblée et rien d’autre.

Malheureusement, rares sont ceux qui se tiennent coi et qui attendent la suite lorsque cette femme répond justement : « Et bien, ça a été difficile … »

Se tenir coi, rester ouvert à la confidence et attendre la suite. C’est difficile, certes. Mais c’est ce que nous pourrions faire, au lieu de répondre à côté, lorsqu’une femme s’ouvre à demi-mot de ce qu’elle a vécu quelques jours plus tôt, lorsqu’elle se confie parce que nous l’y avons invitée.

Au lieu de nous taire ou de reconnaître simplement sa souffrance, nous sommes enclins à l’action, irrésistiblement tentés par une réponse positivante, invitant à aller de l’avant. Et nous voilà, déboulant avec notre entrejambe intact, nos hormones disciplinées et nos gros sabots, en train de prononcer ces mots qui seront reçus comme autant de coups de scalpels supplémentaires, comme une double ration de contractions, stériles cette fois :

«  Aller, l’essentiel, c’est que ton bébé aille bien ! ».

Ces mots désastreux jaillissent la plupart du temps d’une sincère bonne intention, celle de remonter haut ce fameux moral. Mais ils ne sont à l’arrivée que des pavés glissants en travers du chemin de cette femme. Alors qu’elle essaie, comme elle peut, de trouver l’équilibre et l’apaisement, ces mots la censurent, renforcent son malaise et aggravent son sentiment d’isolement.

Après un tel commentaire, aucune mère ne pourra plus rien répliquer car, évidemment, c’est bien là l’essentiel, oui, que son bébé aille bien.

Il se trouve que c’est même elle la mieux placée pour savoir que l’essentiel est que son bébé aille bien. Elle a tout enduré, dans son âme et dans son corps, pour que son bébé aille bien.

Après un accouchement difficile, la bonne santé du bébé ne compense pas la détresse de sa mère

Viendrait-il à l’esprit de quiconque de répondre à un accidenté de la route*, polytraumatisé et amputé d’une jambe : « Aller, l’essentiel, c’est qu’il te reste l’autre jambe ! » ?
Non, bien sûr. Personne n’oserait minimiser le désespoir de la victime et la tragédie de son expérience sous prétexte qu’elle n’a pas perdu tous ses membres… Ou alors ce serait passer pour un fou.

Je dirais même ceci : il ne manquerait plus que ça, d’avoir été amputée des deux jambes ; il ne manquerait plus que ça, que le bébé n’aille pas bien !

Après un accouchement difficile, comme dans d’autres expériences traumatiques, la bonne santé de l’un ne compense pas la détresse de l’autre : il n’y a pas de vases communicants en ce domaine.

Elle a le droit de pleurer son accouchement

Pourquoi, alors, se vautrer ainsi dans le lieu commun le plus épais – « Ton bébé va bien, c’est ce qui compte » – après s’être enquis généreusement de l’état de cette nouvelle mère ?

Pourquoi enfoncer cette porte ouverte et, ainsi, fermer celle de la parole de l’autre ?

Parce que nous sommes désarçonnés par la vulnérabilité, parce que nous ne voulons pas être éclaboussés par cette tornade de souffrances intimes que l’on devine en face.

Peut-être, aussi, parce que nous nous sommes habitués aux accouchements tristes et saccagés.

Enfin, parce que nous ne savons fichtrement pas quoi répondre d’autre pour garder notre contenance.

Ce que nous pourrions répondre à cette femme, pourtant, ne coûterait rien que ces quelques mots : « J’entends que les choses ne se sont pas déroulées comme tu le souhaitais et que tu as beaucoup souffert. Cela doit être vraiment dur pour toi. »

Point.

N’ajoutons rien, pas tout de suite. N’ayons pas peur de retenir nos mots. Mais restons à l’écoute et gardons notre âme en alerte. Par cette posture, nous disons, en silence certes, mais avec humanité : « Je ne sais pas trop comment t’aider, ni quoi dire car j’ai peur d’être maladroit, mais je t’entends. Et tu as le droit de pleurer ton accouchement ».

Quant à toi, maman toute neuve, qui pleures en cachette après ton accouchement, toi qui te sens si isolée, toi qui viens peut-être d’être blessée par ce fameux l’essentiel-est-que-ton-bébé-aille-bien, cherche de toutes tes forces cette oreille attentive et bienveillante qui saura t’écouter, et se taire, si nécessaire, sans être embarrassée par tes larmes.

* Je fais volontairement le parallèle avec un évènement traumatique qui relève de l’accidentel en ce qu’il n’est pas normal, car je considère qu’un accouchement traumatique n’est JAMAIS normal et qu’il aurait pu se dérouler autrement (comme la grande majorité des drames de la route…) quelles que soient les circonstances ou urgences médicales.

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